Jeudi 30 juin 2016, Agilia Consulting et Bureaux à Partager ont réuni les acteurs du secteur de l’immobilier d’entreprise pour une conférence au Hub de la BPI. Propriétaires, experts, entreprises multinationales et entrepreneurs de renom se sont mobilisés pour débattre sur l’avenir du bail 369.
Le bail commercial a 63 ans, l’âge de la retraite?
63 ans séparent la naissance du bail commercial et l’arrivée à Paris de WeWork, l’entreprise américaine qui attise la curiosité et perturbe les règles de l’immobilier d’entreprise. En effet, aujourd’hui la flexibilité et la collaboration semblent sur le point de redéfinir les modes de travail. En d’autres termes, le bureau est devenu nomade et partagé ! Et de fait, la demande de bureaux est en mutation, obligeant le marché à s’adapter.
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2 espaces de coworking s’ouvrent chaque semaine en France, quand la région parisienne en compte déjà 200. Au-delà de la promesse de nouvelles façon de travailler, de collaborer et d’échanger, que nous disent ces nouveaux concepts d’aménagement sur les besoins des entreprises en matière de flexibilité immobilière ? Ces nouvelles offres répondent-elles à des besoins répandus ou ne concernent-elles que des freelances, autoentrepreneurs et start-ups en phase de lancement ? Le bail 369 est-il désormais réservé aux seuls mastodontes du CAC40 ou est–il complètement obsolète ? Quel objet juridique pourrait remplacer le bail commercial ? Quels enseignements peut-on en tirer pour revisiter les relations bailleurs/utilisateurs ?
Tant de problématiques sur lesquelles nos intervenants ont débattu lors de notre conférence du 30 juin. Autour de la table, des experts du secteur représentant aussi bien les propriétaires que les utilisateurs :
– Philippe DEPOUX, DG de GECINA
– Jacqueline FAISANT, Présidente de BNP Paribas REIM
– Eric LEDEUIL, Directeur Immobilier France de SAP
– Stéphane DISTINGUIN, Président de CAP DIGITAL
– Aubry d’ARGENLIEU, Associé fondateur de FAIRWAY Avocats
– Guillaume SAVARD, Associé d’AGILIA CONSULTING
– Clément ALTERESCO, Fondateur de Ubiq.
Des espaces de travail et non plus des m² (Philippe DEPOUX)
Le secteur immobilier traverse une évolution clé : on ne peut plus parler de m² mais d’espaces de travail, couplés à de la mixité d’usage.
GECINA adresse très concrètement cette nouvelle de deux manières :
– En menant une réflexion autour d’un bail classique encadrant la mise à disposition de surfaces de bureaux, compris comme des espaces privatifs…
– En complétant ce bail par un contrat de prestation de services portant sur les espaces communs d’un immeuble, qui peuvent ainsi être mutualisés.
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Dans un autre exemple, GECINA réfléchit conjointement avec un preneur susceptible de lui louer 10.000 m² à l’équipement et la commercialisation sous forme d’un espace mutualisé et flexible d’une partie des plateaux loués :
– L’utilisateur paye bien un loyer sur l’ensemble des surfaces…
– GECINA mobilise ses moyens pour les commercialiser au poste de travail, les rentabiliser et ainsi générer un chiffre d’affaires auprès de son locataire principal.
De la liquidité du marché à la liquidité des espaces (Stéphane DISTINGUIN)
La flexibilité demandée par un nombre grandissant d’entreprises requiert de la liquidité, comprise comme la possibilité à tout instant de relouer/recycler aisément un espace de travail.
L’industrie est en bouillonnement sur cette question : peu d’acteurs proposent une offre de services réelle et structurée, qui requiert un savoir-faire, notamment technologique, très spécifique et une capacité réelle d’intégration de services. WE WORK est assez seul sur son marché et n’attend que des concurrents !
De nouveaux immeubles (JACQUELINE FAISANT)
Les évolutions du marché en matière d’espaces de travail interrogent également la manière dont sont conçus et construits les immeubles : ces derniers sont plus sollicités que par le passé (en matière de plages horaires d’ouverture) et occupés beaucoup plus densément, requièrent des équipements et fluides plus puissants, se doivent d’être plus riches en services et en informations fournies aux locataires.
A contrario, la pression économique à laquelle sont soumises les entreprises utilisatrices, qu’elles répercutent sur leur immobilier, nécessite sans doute des immeubles et des principes constructifs plus sobres pour être plus économiques.
Un positionnement différent pour les propriétaires (Philippe DEPOUX)
Au-delà de la question du bail et de son adéquation avec les nouveaux besoins exprimés, se pose la question de la relation entre propriétaires et locataires : à la confrontation habituelle, il faut substituer une relation plus partenariale, plus proactive…
… Qui amène les propriétaires à modifier leur approche de leur métier : non plus gérer 600 baux pour GECINA mais la communauté des 60.000 utilisateurs finaux qui habitent les immeubles loués par la foncière.
Une demande de flexibilité qui ne rencontre pas d’offre à date (Eric LEDEUIL)
SAP est un grand utilisateur puisque le groupe occupe plus de 1.6M de m² à travers le monde, avec un taux d’utilisation de ses espaces de travail variant de 35% à 120%.
En France, à peine regroupée sur un immeuble développant 30.000 m², la société a procédé à des acquisitions qui se sont traduites par 1.400 collaborateurs additionnels à intégrer physiquement, avec un enjeu de rapidité important, afin que les bénéfices du rapprochement se matérialisent dès que possible.
Dans ce contexte, l’éditeur aurait besoin de 15.000 m² sur une durée de 18 mois maximum. Force est de constater qu’une telle offre n’existe pas sur le marché francilien !
Mais alors quid du bail ? (Aubry d’ARGENLIEU)
Le bail commercial se pose comme un outil résilient… puisqu’il est toujours là, bon pied, bon œil, après 63 ans et offre dans les faits de multiples possibilités d’adaptation, en présentant l’avantage de protéger le preneur.
Le débat se situe donc plus sur le terrain de la valeur : comment approcher celle-ci avec des engagements plus courts, dans un contexte où le métier d’investisseur consiste à prendre des risques importants, associés à des horizons de retour sur investissement lointains.
Les évaluateurs vont devoir être créatifs pour appréhender à terme certaines foncières à travers la même méthode d’évaluation que des groupes hôteliers par exemple (le RevPar : revenu par chambre vendu à la nuit) ou associer une valeur à des immeubles loués à des GIE (Groupements d’Intérêt Economique), qui permettent de centraliser le portage d’un contrat par une entité constituée de plusieurs membres…
WE WORK : nouvel UBER ? (Stéphane DISTINGUIN)
WE WORK est valorisé 16Md de dollars pour 500.000 m² tandis que REGUS PLC vaut 4 Md de dollars pour 4M m².
Dans ce schéma, les analystes valorisent deux choses : non pas les m² mais le nombre d’utilisateurs finaux (appelés « membres » chez WE WORK) et surtout les services qu’ils consomment et les données que leur activité produit au sein de la communauté.
WE WORK est donc valorisée comme une société de technologie, de « Big Data » beaucoup plus que comme une société immobilière.
Sa compétence clé consiste à mettre en œuvre la technologie qui lui permet d’optimiser la vacance dans un immeuble et de créer un éco système qui produit des données sur ses utilisateurs.
> Tout ce qu’il faut savoir sur WeWork
Le secteur immobilier dans 10 ans (TOUS)
On parlera de « bureau numérisé » et surtout de « bureau dématérialisé » : tous les espaces se prêteront à un usage de type bureaux.
Des technologies existeront pour rendre ces espaces de travail identifiables, repérables, facilement utilisables et tout aussi facilement commercialisables une fois quittés.
Ce faisant, l’immobilier qui représente un poste important dans le compte de résultat des entreprises, sera devenu un facteur de compétitivité à part entière, exploitant le formidable éco-système que représente l’Île de France, sa concentration en entreprises et en sociétés innovantes, ses infrastructures et son environnement.